Droit immobilier : Le permis de location en Région wallonne
L’obligation d’obtenir un permis afin de louer certains biens n’est pas neuve en Région wallonne[1]. Des décisions – récentes comme plus anciennes – démontrent qu’il n’est cependant pas rare qu’un contrat de bail soit conclu en l’absence d’une telle autorisation[2]. Ce constat est l’occasion de rappeler brièvement les grandes lignes du régime applicable au permis de location. Hypothèses dans lesquelles un permis de location est requis Selon l’article 9, alinéa 1er, du Code wallon de l’habitation durable[3] (ci-après « CWHD »), un permis de location doit, sauf exceptions[4], être obtenu avant toute mise en location des biens suivants à des occupants qui y installeront leur résidence principale[5] ou à des étudiants[6]: Procédure relative à la délivrance du permis de location Pour obtenir un permis de location en Région wallonne, il appartient au bailleur de déposer une déclaration de mise en location, au moyen d’un formulaire disponible auprès de la commune concernée[16] ou en ligne[17]. La déclaration de mise en location doit être accompagnée d’une attestation[18] établissant la conformité[19] du bien aux conditions fixées par le CWHD[20]. En cas de conformité du bien, le permis de location est délivré au bailleur dans les quinze jours du dépôt de sa déclaration[21]. À défaut de décision dans le délai précité, le bailleur peut adresser une mise en demeure à la commune et, si aucune décision n’intervient dans le mois suivant l’envoi de cette mise en demeure, le permis est réputé octroyé[22]. Du reste, en cas de refus, le bailleur dispose d’un délai de quinze jours pour introduire un recours. Le Ministre compétent en matière de logement doit alors statuer dans les quarante-cinq jours de la réception du recours et, à défaut, le refus est confirmé[23]. Le permis de location est valable pour une durée de cinq ans à dater de sa délivrance[24] et peut être renouvelé, dans les mêmes conditions que celles liées à son obtention[25]. Le bien doit évidemment respecter les conditions de conformité même s’il est couvert par un permis de location. Dans le cas contraire, le bailleur peut se voir retirer le permis de location, moyennant une mise en demeure préalable[26]. Le bien peut également être frappé par une interdiction d’occupation lorsque les manquements constatés le requièrent[27]. Le bailleur peut enfin se voir imposer une amende pénale[28] ou, si l’infraction n’est pas poursuivie par le ministère public[29], une amende administrative[30]. Conséquences de l’absence de permis de location Si un bien est mis en location sans permis, le bailleur s’expose, à nouveau, à une amende pénale[31] ou à une amende administrative[32]. La jurisprudence civile se prononce par ailleurs majoritairement en faveur de la nullité absolue du contrat de bail conclu sans autorisation préalable[33]. Dans ce dernier cas, les parties sont « replacées dans leur situation initiale »[34] en telle sorte qu’elles sont « en principe tenues à restitutions réciproques »[35], étant entendu que le juge peut décider de moduler l’obligation de restitution des parties en fonction du cas d’espèce[36]. Certains auteurs nuancent cette jurisprudence bien établie en suggérant une application non-automatique de la nullité absolue du contrat bail conclu sans permis de location[37]. B. Kohl et C. Bare relèvent que ce courant doctrinal trouve récemment un écho, d’une part, dans la jurisprudence de la Cour de cassation et, d’autre part, dans la proposition de réforme du droit des obligations[38]. Article publié dans la revue Forum de l’immobilier : https://www.anthemis.be/shop/product/forum-de-l-immobilier-abonnement-8618?search=forum+de+l%27immobilier#attr=7272,7137,11261 Kevin Polet Avocat au barreau du Brabant wallon Assistant à l’UCLouvain Luca Ceci Avocat au barreau du Brabant wallon Assistant à l’UCLouvain [1] Voy. not. N. Bernard et L. Tholomé, « Le permis de location a 20 ans ! Chronique de jurisprudence 1995-2015 », Echos log., 2015/3, pp. 32-42. [2] Voy. not. N. Bernard et L. Tholomé, op. cit., pp. 39-42 et les réf. citées ; B. Kohl, D. Grisard, F. Onclin et S. Steils, « Le droit des contrats immobiliers. Les baux à loyer », in Chroniques notariales, vol. 64, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 168-169 et les réf. citées ; B. Kohl et C. Baré, « Le bail. Chronique de jurisprudence 2016-2018 », J.T., 2020, pp. 234-235 et les réf. citées. [3] Mon. b. du 4 décembre 1998. [4] CWHD, art. 9, al. 2. Pour une analyse de l’exception relative au contrat de colocation, voy. not. N. Bernard, « Colocation et habitat léger : actualités du bail, de l’urbanisme et du logement à Bruxelles et en Wallonie » in Actualités récentes en droit civil immobilier, Bruxelles, Larcier, 2019, pp. 149 et 150 ; U. Carnoy, La colocation au regard des polices de l’urbanisme et du logement, Limal, Anthemis, 2020, pp. 61-68 ; P. Erneux, G. Carnoy, U. Carnoy, F. Collon et C. De Ruyt, « [Logement en Région wallonne et à Bruxelles] Aspects juridiques de la colocation à 360° », For. Immo., 2020/33, pp. 4-7. [5] Voy. la définition de « résidence principale » à l’art. 1, 6°, de l’AGW du 3 juin 2004 relatif au permis de location (Mon. b. du 16 septembre 2004). [6] Voy. la définition d’ « étudiant » à l’art. 1, 7°, de l’AGW du 3 juin 2004 précité. [7] Voy. la définition de « logement » à l’art. 1, 3°, du CWHD. [8] Voy. la définition de « pièce d’habitation » à l’art. 1, 19°bis, du CWHD. [9] Voy. la définition de « locaux sanitaire » à l’art. 1, 20°, du CWHD. [10] Voy. la définition de « ménage » à l’art. 1, 28°, du CWHD. [11] CWHD, art. 1, 6°. [12] CWHD, art. 1, 4°. [13] La superficie habitable (art. 1, 21°bis, du CWHD) est la superficie utilisable multipliée par le coefficient d’éclairage visé à l’article 2, 4°, de l’AGW du 30 août 2007 déterminant les critères minimaux de salubrité, les critères de surpeuplement et portant les définitions visées à l’article 1er, 19° à 22°bis, du CWHD (Mon. b. du 30 octobre 2007). [14] CWHD, art. 1, 5°. [15] Voy. la définition d’ « habitation légère » à l’art. 1, 40°, du CWHD. [16] Le formulaire doit être remis par la commune au bailleur dans les cinq jours de la réception de sa demande (AGW du 3 juin 2004 précité, art. 7). [17] Le formulaire est disponible sur le site « logement en Wallonie » de la DGO4 du SPW.
Bail commercial et COVID-19 : les loyers sont-ils dus ?
En cette période de crise liée au COVID 19, nous nous retrouvons face à des situations nouvelles et inattendues pour lesquelles de nombreuses questions se posent.Ainsi, une question fréquemment posée est celle qui concerne l’obligation pour le locataire de poursuivre le paiement de son loyer, alors qu’en raison des décisions prises par le gouvernement, sa situation a été considérablement modifiée. La situation du locataire commerçant a été particulièrement débattue à la suite des arrêtés ministériels imposant la fermeture des commerces dits non-essentiels. Les Juges de Paix du pays sont saisis de litiges opposant bailleurs et locataires aux intérêts divergents, exacerbés en raison de la crise sanitaire actuelle. Aucune position unanime n’est adoptée par les Juges de Paix. I. DECISIONS JURISPRUDENTIELLES Décision favorable au locataire Certains Juges de Paix considèrent qu’aucun loyer n’est dû pour la période durant laquelle les commerces dits non-essentiels ont été fermés. Afin de fonder cette position, les Juges de Paix se fondent sur l’impossibilité, en raison d’un cas de force majeur, pour le bailleur de respecter son obligation de fournir une jouissance des locaux loués, ce qui impliquerait, corrélativement, la suspension des obligations du locataire, dont son obligation de paiement du loyer (J.P. Anvers (2e canton), 3 septembre 2020 ; J.P. Etterbeek, 30 octobre 2020). Décision favorable au bailleur En revanche, d’autres Juges de Paix considèrent que le locataire demeure redevable de l’intégralité des loyers dus pour la période correspondant à la fermeture obligatoire des commerces dits non-essentiels (J.P. Gand (1er canton), 6 juillet 2020 ; J.P. Bruges (3e canton). Ainsi, ils considèrent que le locataire a été laissé dans les lieux loués pendant toute la durée de la suspension et était ainsi parfaitement en mesure de continuer à les utiliser ou à les exploiter différemment, en respectant les limites de l’interdiction gouvernementale (stockage, take-away, ventes en ligne, etc.) (J.P. Ixelles, 29 octobre 2020). Décision « mixte » De manière plus tempérée, certains Juges de Paix considèrent, enfin, que le loyer doit être diminué en raison des circonstances particulières liées à la fermeture des commerces et à la perte engendrée dans le chef du locataire, tout en recherchant un équilibre avec les intérêts du bailleur (J.P. Woluwe-Saint-Pierre, 2 juillet 2020 ; J.P. Bruxelles (1er canton), 19 novembre 2020). Cette position est également partagée par l’Union Professionnelle belge du Secteur Immobilier qui, dans son communiqué du 6 avril 2020, a donné des directives aux propriétaires de biens immobiliers à usage commercial : « Renoncez à la moitié du loyer pendant 2 mois pour les commerçants locataires en difficulté et accordez un sursis de paiement » . Mesure de soutien Enfin, pour soutenir les commerçants, le Gouvernement bruxellois vient d’adopter une mesure, entrée en vigueur le 15 janvier 2021, destinée à permettre à ceux-ci de payer leur dû en leur octroyant un prêt (arrêté du 17 décembre 2020 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de pouvoirs spéciaux n° 2020/047 concernant l’octroi aux locataires d’un prêt sur le loyer commercial dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19). II. AUTRES BAUX Le bail d’habitation Les baux d’habitations ne sont pas impactés de la même manière que les baux commerciaux par la crise du COVID-19. En effet, il n’a jamais été fait interdiction au locataire de jouir des lieux loués, de telle sorte que le preneur doit continuer à procéder au paiement de ses loyers. Le bail de bureaux Enfin, concernant les baux de bureaux, peu de litige lié à ce type de contrat ont été soumis aux Juges de Paix. Nous relèverons uniquement une décision du Juge de Paix du canton de Woluwe-Saint-Pierre du 4 septembre 2020 estimant que l’intégralité du loyer devait être payée malgré la crise sanitaire actuelle (J.P. Woluwe-Saint-Pierre, 4 septembre 2020). A première vue, cette décision parait suivre la logique exposée précédemment, dès lors que les baux de bureaux ne sont pas visés par les mesures de fermeture obligatoire. Néanmoins, il n’est pas exclu que certaines entreprises soient fermées (temporairement) dès lors que, pour les fonctions qui ne se prêtent pas au télétravail, elles ne peuvent respecter les règles de distanciation sociale et autres normes sanitaires imposées par les autorités.En ce cas, la force majeure et la théorie des risques pourraient être admises pour autant que la fermeture ne soit pas imputable à l’entreprise. Il faudra ainsi vérifier si cette dernière a mis en œuvre la diligence nécessaire pour se conformer – sans succès – aux dispositions prises par les autorités . III. CONCLUSIONS A la lecture des décisions récemment prononcées par les Juges de Paix, force est de constater que la question n’est pas tranchée. Il faudra attendre la décision de la Cour de cassation ou l’adoption d’une réglementation pour mettre fin à la controverse actuelle. Dans l’attente d’une éclaircie jurisprudentielle/légale, la meilleure solution sera sans doute de tenter de négocier une solution équilibrée, mettant en balance les intérêts du locataire et ceux du bailleur. Frédéric Van den Bosch Juliette Vansnick
Immobilier – copropriété : la loi du 18 juin 2018
Rappel du nouveau régime fixé par la loi du 18 juin 2018 Le 18 juin 2018, le législateur a adopté une loi portant des dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges. Le titre 6 de cette loi (art. 162 à 179) a modifié la législation relative à la copropriété. Cette loi corrige, notamment, une série d’éléments techniques, et vise (i) la flexibilisation du fonctionnement de l’association des copropriétaires et de ses organes, (ii) l’optimalisation de l’efficacité au sein des associations de copropriétaires et (iii) le rééquilibrage au sein de la copropriété. Les nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019 et s’appliquent, en principe, à tout immeuble ou groupe d’immeubles bâtis ou susceptibles d’être bâtis, dont la propriété est répartie par lots, chaque copropriétaire étant titulaire d’un droit de propriété sur une ¬partie dite privative de l’immeuble et d’une quote-part de droits en copropriété forcée sur les parties communes mises au service des différentes parties privatives. La démolition ou à la reconstruction totale de l’immeuble pour des raisons de salubrité ou de sé-curité Parmi les modifications apportées par la loi du 18 juin 2018, les majorités requises à l’assemblée générale de l’association des copropriétaires ont été adaptées. Ainsi, le nouvel article 577-7, § 1er, 2°, du Code civil, modifié par l’article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018, prévoit que la décision de procéder à la démolition ou à la reconstruction totale de l’immeuble, motivée par des raisons de salubrité ou de sécurité ou par le coût excessif par rapport à la valeur de l’immeuble existant d’une mise en conformité de l’immeuble aux dispositions légales, sera prise à la majorité des quatre cinquièmes des voix. Cette hypothèse fait donc exception à la règle générale qui requiert l’unanimité des voix pour les décisions de démolition ou de reconstruction totale de l’immeuble. Elle s’inscrit dans le cadre de la politique menée par le législateur, qui, en rendant le processus décisionnel entre copropriétaires plus souple, tend à contribuer à la transition d’immeubles à appartements vétustes vers un parc immobilier moderne et durable et à augmenter ainsi la qualité de vie et la sécurité des habitants. Arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 février 2020 Par un arrêt du 20 février 2020, la Cour constitutionnelle a toutefois décidé d’annuler l’article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018. Dans cet arrêt, la Cour rappelle le principe fixé par l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et selon lequel toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général poursuivi par la mesure en cause et ceux de la protection du droit au respect des biens. Dans ce cadre, la Cour considère que la mesure prévue à l’article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018 – à savoir, la modification de la majorité requise au sein d’une copropriété pour les décisions de démolition ou de reconstruction totale d’un immeuble pour des raisons de salubrité ou de sécurité – poursuit un objectif légitime dicté par l’intérêt général. En effet, cette modification tend à stimuler la rénovation du parc immobilier vétuste, à accélérer sa mise en conformité aux normes légales et à augmenter la qualité de vie et la sécurité des habitants. Par ailleurs, selon la Cour, le législateur a tenu compte de l’intérêt du copropriétaire qui s’opposerait à la décision de démolition ou de reconstruction totale de l’immeuble, puisque tout copropriétaire peut demander au juge d’annuler ou de réformer une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive prise par l’assemblée générale des copropriétaires, si elle lui cause un préjudice personnel (article 591, 2°bis, du Code judiciaire). Toutefois, eu égard à l’importance de l’ingérence dans le droit de propriété qui résulte de la modification de majorité prévue par l’article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018, la Cour considère que le législateur aurait dû prévoir des garanties supplémentaires afin d’instaurer un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général poursuivies par cette modification de majorité et celles de la protection du droit au respect des biens. Elle estime ainsi qu’il aurait dû être prévu : L’annulation de l’article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018 implique que l’unanimité des voix reste actuellement requise pour les décisions de démolition ou de reconstruction totale, pour des raisons de salubrité ou de sécurité, d’un immeuble placé sous le régime de la copropriété. Frédéric van den Bosch Juliette Vansnick