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Faux indépendants et la requalification du contrat en contrat de travail

23/01/2024

Deliveroo et les faux indépendants – l’arrêt du 21 décembre 2023

Ce 21 décembre 2023, la Cour du Travail de Bruxelles a rendu un arrêt, presque historique, dans la célèbre affaire des coursiers au service de la plateforme de livraison Deliveroo.

Les coursiers sont des salariés

Si la plateforme avait eu gain de cause en première instance, la Cour a décidé que les coursiers devaient être considérés comme des salariés et non comme des particuliers relevant de l’économie collaborative ou comme des travailleurs indépendants. Selon Deliveroo, en effet, les coursiers devaient être considérés comme occupés par l’intermédiaire d’une plateforme collaborative et devaient donc échapper à la (re)qualification de travailleur salarié. La Cour n’est cependant pas du même avis.

Le contrat de travail et l’économie collaborative

En ce sens, la Cour remarque dans un premier temps que le simple fait de ressortir du champ d’application de l’économie collaborative ne permet pas de qualifier la relation de travail – cette règlementation ayant principalement des effets fiscaux. La Cour constate toutefois que les coursiers n’entrent pas dans le champ d’application de la règlementation sur l’économie collaborative. En effet, selon elle, l’activité exercée par les coursiers est clairement inscrite dans la régularité en vue d’obtenir une rémunération. À cela s’ajoute le fait que les contrats ne sont pas simplement conclus entre deux particuliers par l’intermédiaire de la plateforme – condition requise à l’économie collaborative – puisque la plateforme joue un rôle essentiel dans la relation coursier-consommateur en y fixant le prix, l’itinéraire et la destination finale de la livraison. Finalement, toujours selon l’analyse de la Cour, les contrats ne concernent pas uniquement des particuliers puisque des entreprises bénéficient également des services de livraison proposés.

Les critères d’une relation de travail salariée

Ensuite, à défaut d’entrer dans le champ d’application de l’économie collaborative, la Cour examine dans quelle mesure cette activité professionnelle doit être qualifiée d’indépendante ou de salariée.

Pour rappel, les critères généraux pris en considération pour (re)qualifier une relation de travail sont les suivants :

  • La volonté des parties telle qu’exprimée dans leur convention ;
  • La liberté d’organisation du temps de travail ;
  • La liberté d’organisation du travail ;
  • La possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique

Les présomptions de relation de travail salariée

À cela s’ajoute une présomption de relation de travail salariée, pour certains secteurs d’activités – en ce compris celui auquel Deliveroo ressort selon la Cour. En ce sens, lorsqu’un certain nombre de critères sont remplis, la loi prévoit une présomption réfragable (dont on peut apporter la preuve du contraire) de relation de travail salariée. Ces critères sont notamment l’absence de risque financier, de pouvoir de décision ou d’obligation de résultat pour le travailleur ou encore la garantie de percevoir une indemnité fixe et l’impossibilité d’engager soi-même du personnel.

La Cour conclut que « Tant au regard de la présomption légale qu’au regard des critères généraux, les modalités de la relation de travail nouée entre DELIVEROO et les coursiers sont incompatibles avec la qualification de relation de travail indépendante et conduisent à conclure que cette relation doit être considérée comme une relation salariée et donc requalifiée. »

La décision de la Cour a des conséquences majeures pour l’entreprise qui se verra condamner à verser des sommes considérables auprès de l’ONSS en vue d’affilier, de manière rétroactive, les travailleurs à la Sécurité sociale des travailleurs salariés. De plus, la Cour obligera Deliveroo à verser à ses coursiers des indemnités dues en raison des obligations liées, non seulement à la qualité d’employeur, mais également en vertu du secteur attribué (commission paritaire 140 en l’espèce). Les sommes exactes à verser par Deliveroo seront établies au printemps 2025 afin de laisser le temps aux parties d’effecteur des calculs et d’échanger leurs points de vue à ce propos.

Les conséquences d’une requalification en contrat de travail salarié

Une telle requalification de la relation de travail par les Cours et Tribunaux du travail n’est pas isolée et permet de rappeler les conséquences considérables que cela peut avoir sur l’entreprise nouvellement qualifiée d’employeur. Il est donc essentiel de bien comprendre le contexte dans lequel une entreprise fait appel à de la main-d’œuvre afin de ne pas tomber trop rapidement dans le faux-ami qu’est la relation indépendante (prestation de service). Si, dans un premier temps, le contexte légal fait apparaitre le contrat de collaboration indépendante comme plus pratique et moins risqué pour une entreprise, une requalification de la relation par les Cours et Tribunaux peut littéralement faire sombrer les finances de l’employeur imprudent, outre d’éventuelles responsabilités personnelles des dirigeants de l’entreprise.

En conclusion, la question des faux indépendants et des relations de travail salariées reste un défi majeur dans le paysage juridique moderne. Si vous êtes confronté à des incertitudes concernant le statut de vos employés ou si vous cherchez des conseils sur la manière de naviguer dans ce cadre juridique complexe, n’hésitez pas à nous contacter. Notre équipe d’avocats spécialisés en droit du travail est prête à vous fournir des conseils personnalisés et à vous aider à sécuriser votre entreprise contre de potentiels litiges. Contactez-nous dès aujourd’hui pour une consultation et assurez-vous que votre entreprise reste conforme et protégée.

Caroline Debehault, avocate en droit du travail