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Réduction de l’indemnité de remploi : que dit la Cour de Cassation ?

23/10/2020

1. Indemnité de remploi : contexte

En matière d’indemnité, l’article 1907 bis du Code civil a assurément fait couler beaucoup d’encre, notamment depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013 confirmant l’application exclusive de cette disposition aux prêts à intérêts, à l’exclusion des ouvertures de crédit.

Depuis, le législateur est également intervenu pour limiter le montant de l’indemnité que peut réclamer la banque aux crédités à d’autres crédits : crédits à la consommation (VII.96 du Code de droit économique) ; crédit hypothécaire (article VII.147 du Code de droit économique) ; crédit aux « PME » octroyés après 10 janvier 2014 (loi du 21 décembre 2013 relative au financement des PME, qui définit ce qu’il y a lieu d’entendre par PME).

Pour le reste, seul l’article 1907 bis du Code civil pourrait trouver à s’appliquer.

La question résidait dès lors dans la définition à donner au prêt à intérêt, opposé à l’ouverture de crédit.

2. Définition de l’ouverture de crédit et du prêt à intérêts : arrêts du 27 octobre 2011 et du 24 juin 2013

Les premiers arrêts de la Cour de cassation en matière de funding loss (c’est à dire indemnité de remploi) ont essentiellement visé à définir l’ouverture de crédit, puis le prêt à intérêts.

Ainsi, dans son arrêt du 27 octobre 2011, la Cour confirme la définition donnée à l’ouverture de crédit par la cour d’appel estimant qu’il s’agit « d’un compte courant par lequel une certaine ligne de crédit était autorisée et qui à tout moment, durant l’exécution de la convention, pouvait présenter un débit ou un crédit aléatoire et par lequel le donneur de crédit met à disposition d’un preneur de crédit ses capacités de crédit, le preneur de crédit pouvant y faire appel selon ses besoins » (traduction libre).

Ne peut donc, selon la Cour, être qualifiée d’ouverture de crédit la convention relative à « un montant déterminé, pour une durée déterminée, moyennant un intérêt déterminé, avec des échéances de remboursement fixes » (traduction libre).

Dans son arrêt du 24 juin 2013, la Cour de cassation a confirmé la définition donnée par la Cour d’appel aux prêts à intérêts : il s’agit d’avances consenties « par la remise unique d’une somme fixe, remboursable à terme fixe par trimestrialités constantes » et alors que « si la défenderesse avait voulu obtenir une nouvelle avance à terme fixe dans le cadre de la convention d’ouverture de crédit, une nouvelle convention aurait dû être signée à cet effet ».

3. Origine du remboursement anticipé : arrêts du 24 novembre 2016 et du 14 mars 2019

Rejoignant en réalité une thèse déjà globalement admise par la doctrine et certains juges du fond (et d’ailleurs évoquée par la Cour de cassation dans son arrêt du 24 juin 2013, qui constate que ce motif de la cour d’Appel n’est pas critiqué), la Cour de cassation a confirmé dans son arrêt du 24 novembre 2016 qu’en présence d’un prêt à intérêt, l’article 1907bis du Code civil s’applique à toute indemnité réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel. En l’espèce, la banque objectait qu’elle sollicitait le paiement d’une indemnité en contrepartie de sa renonciation à exiger la poursuite du contrat et pour l’indemniser de sa perte ; qu’il ne s’agissait donc pas d’une indemnité de remploi visée par l’article 1907bis du Code civil.

La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence dans un second arrêt du 14 mars 2019 : l’article 1907bis du Code civil « s’applique à toute indemnité réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d’un prêt à intérêt, alors même que la convention de prêt exclut un tel remboursement anticipé ».

4. Clauses compatibles avec la qualification d’ouverture de crédit : arrêt du 27 avril 2020

Malgré ces différentes interventions de la Cour de cassation, le débat relatif à la qualification ou non de conventions de crédits en prêt à intérêt a perduré. Un critère semblait se dégager : celui de la liberté de prélèvement dont bénéficie le crédité, dont l’absence est incompatible avec une ouverture de crédit.

Ainsi, certaines dispositions contractuelles pouvaient, selon certains juges, être considérées comme étant de nature à restreindre la liberté de prélèvement au point de devoir écarter la qualification d’ouverture de crédit : crédit destiné à un but déterminé, période de prélèvement imposée, commission de réservation sur les montants non encore prélevés, sanction de la non-utilisation du crédit, absence de possibilité de reprise d’encours sans accord de la banque, …

La Cour de cassation est finalement intervenue le 27 avril dernier, en validant la compatibilité de certaines clauses avec une qualification d’ouverture de crédit.

Elle confirme, dans un premier temps, les définitions à donner aux contrats de prêt et d’ouverture de crédit : le prêt est un contrat réel «par lequel le donneur de crédit met à disposition d’un preneur une somme d’argent déterminée, ce dernier s’engageant à la rembourser, le cas échéant majorée d’intérêts » ; alors que l’ouverture de crédit est un contrat « consensuel et bilatéral, par lequel le donneur de crédit met à disposition, temporairement et à concurrence d’un montant déterminé, soit des fonds, soit une ligne de crédit. Le crédité peut faire usage du crédit par un ou plusieurs prélèvements, sans obligation d’utilisation » (traduction libre).

Elle expose ensuite, sur base de ces définitions, que la circonstance qu’une indemnité est due en cas de non-prélèvement des fonds, que le crédité doive justifier la destination des fonds et que la réutilisation des fonds ne soit possible qu’avec autorisation de la banque ; de même que l’existence d’un tableau d’amortissement n’excluent désormais de manière certaine pas la qualification d’ouverture de crédit.

5. Définition du prêt : arrêt du 18 juin 2020

Dans son second arrêt de 2020 sur le sujet, la Cour de cassation confirme à nouveau ses définitions du prêt qui, rappelle la Cour, a bien un caractère réel et considère qu’un prélèvement dans le cadre d’une ouverture de crédit n’implique pas ipso facto l’existence d’un prêt. Il est vrai que les juges du fond ont souvent jugé que l’ouverture de crédit devait s’analyser en un contrat-cadre, dont les formes d’utilisation pouvaient être elles-mêmes qualifiées de prêts.

Même si le débat n’est pas complètement clos, la direction prise par la Cour de cassation semble assez claire.