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LES NEWS

Dirigeant d’entreprise et dettes fiscales : quels risques ?

18/05/2021

Application de l’article 51 du Code de recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales

Présentation

Les sociétés et les ASBL lorsqu’elles ont la qualité d’assujetties ont l’obligation de payer le précompte professionnel et la taxe sur la valeur ajoutée.

Les dirigeants de la société et de l’ASBL sont dans certaines hypothèses solidairement responsables du paiement de ces impôts.

Il n’est pas rare qu’à l’occasion d’une cession d’actions, par exemple, ou d’un changement de dirigeants au sein de la personne morale, l’ancien actionnaire ou dirigeant cherche à couvrir cette responsabilité éventuelle par l’insertion dans la convention de transfert de clauses de garanties.

Ces clauses ne suffisent toutefois pas à assurer intégralement la tranquillité du vendeur dans la mesure où elles sont inopposables à l’administration, si les conditions de la solidarité sont établies.

Nous allons examiner dans les lignes qui suivent quelles sont ces conditions et circonstances dans lesquelles le dirigeant pourrait être tenu de payer les dettes fiscales de la société.

Dispositions légales applicables

L’article 93undecies C du Code de la TVA et l’article 442quater du C.I.R. 1992, pour ce qui concerne le précompte professionnel, prévoyaient ce mécanisme de solidarité.

Ces dispositions ont été abrogées et remplacées par la loi du 13 avril 2019 introduisant le Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales.

L’article 51 de ce nouveau Code, entré en vigueur le 1er janvier 2020, reprend en réalité les anciennes dispositions, si bien que les principes dégagés par la jurisprudence en ce domaine sont transposables à la nouvelle loi.

En résumé, le législateur prévoit que le non-paiement répété de la TVA ou du précompte professionnel par la société pour trois ou deux dettes exigibles au cours d’une période d’un an, est présumé, sauf preuve du contraire, résulter d’une faute commise dans la gestion de la société, elle-même présumée et dont le dirigeant ou ancien dirigeant est tenu pour responsable.

Autrement dit, le non-paiement répété de la TVA ou du précompte professionnel, dans les circonstances qui seront expliquées ci-dessous, fait naitre une présomption de faute dans le chef du dirigeant et une présomption de lien causal entre la faute et le dommage (le montant restant dû au fisc), de sorte que le dirigeant peut être personnellement tenu responsable de ces montants, et condamné à les payer.

Pour la Cour constitutionnelle (qui se prononçait sur les textes anciens), ces dispositions sont conformes à la constitution même s’il instaure des règles plus sévères à l’égard du fisc que des autres créanciers dans la mesure où l’objectif du législateur est de préserver les droits du trésor et la compétitivité des entreprises qui remplissent leurs obligations. (Cour Const., 29 mars 2012, 20/2012 et 52/2012).

Éléments constitutifs

Non-paiement de deux dettes exigibles

Selon que la société était tenue à des déclarations mensuelles ou trimestrielles à la TVA ou selon qu’elle est redevable du précompte mensuellement ou trimestriellement, le manquement pris en compte varie.

Il faudra, au cas par cas, vérifier sur ce point le type d’obligations auxquelles est soumis le débiteur originaire.

En matière de TVA, il ne peut y avoir de responsabilité des dirigeants qu’à la condition que le défaut de paiement porte bien sur au moins trois ou deux dettes exigibles au cours d’une période d’un an, selon qu’il s’agit d’un assujetti qui fait une déclaration mensuelle ou trimestrielle.

En matière de précompte en cette responsabilité solidaire ne sera effective que si le défaut de paiement d’au moins soit trois, soit deux dettes échues au cours d’une période d’un an, selon que le précompte est payable mensuellement ou trimestriellement.

L’administration est tenue d’adresser au dirigeant responsable un avertissement écrit invitant le destinataire à prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit mis fin au défaut de paiement ou à démontrer que ce défaut n’est pas imputable à une faute qu’il aurait commise.

La première chose à examiner sera donc, dans cet avertissement, la période de défaut de paiement visée par l’administration pour vérifier si cela correspond bien, pour le précompte, au cours d’une période d’un an, au non-paiement de trois ou deux dettes échues et pour la TVA, au cours d’une période d’un an, au non-paiement de trois ou deux dettes exigibles.

L’avertissement doit clairement préciser la date d’exigibilité des deux dettes mentionnées.

S’il apparaît qu’une seule dette est exigible au cours de la période d’un an, la présomption de l’article 51 ne trouverait pas à s’appliquer.

Notion de Dirigeant

Au sens de la disposition visée, la responsabilité solidaire concerne toutes les personnes qui, en fait ou en droit, détiennent ou ont détenu le pouvoir de gérer la société.

 Cette responsabilité solidaire ne peut toutefois concerner que le défaut de paiement qui serait imputable à une faute (et le texte la présume comme nous allons le voir) commise par un dirigeant dans la gestion de la société ou de l’ASBL.

Autrement dit, le dirigeant peut seulement être tenu du paiement des dettes contractées par la société ou l’ASBL, au moment où il en est ou était dirigeant.

En cas de collège d’administration, rappelons que les administrateurs, mêmes « passifs », pourraient être déclarés responsables, sauf si conformément, par exemple, aux dispositions de l’article 2:56 du Code des sociétés et des associations, ils ont dénoncé la faute alléguée aux autres membres de l’organe d’administration et qu’ils n’ont pas pris part à la faute dénoncée.

L’administrateur démissionnaire ne sera pas tenu des dettes fiscales postérieures à sa démission, à condition bien sûr que celle-ci soit opposable aux tiers et ait donc fait l’objet d’une publication en bonne et due forme aux annexes du Moniteur belge. Une convention sous seing privé serait inopposable à l’administration.

Faute

L’article 51 ne trouve à s’appliquer qu’en cas de manquement, par une société ou une ASBL à son obligation de paiement du précompte professionnel ou de la taxe sur la valeur ajoutée en sa qualité d’assujetti.

 L’administration devra donc établir en premier lieu le fait de l’absence de paiement dans les délais légaux.

Si l’imposition est exigible, le dirigeant concerné qui aurait dû veiller au paiement sera solidairement responsable du paiement du précompte et/ou de la taxe sur la valeur ajoutée si le manquement de paiement est imputable à une faute personnelle, au sens de l’article 1382 du Code civil, qu’il aurait commise dans la gestion de la société ou de la personne morale.

Le §2 de l’article 51 institue, au profit de l’administration une présomption de faute dans le chef du dirigeant lorsque le manquement est répété (voir 2.1.) : « le non-paiement répété du précompte ou de la TVA est, sauf preuve du contraire, présumé résulter d’une faute » du dirigeant.

Selon la Cour de cassation, cette présomption vaut preuve d’une faute de gestion et de son lien causal avec le défaut de paiement de la taxe (Cass. 11 mars 2016, F.15.0118.F)

Cette présomption dispense l’administration de prouver que le dirigeant a commis une faute au sens de l’article 1382 du Code civil et que cette faute est en lien avec le manquement.

En effet, en principe, une faute n’est susceptible d’engager la responsabilité que s’il existe un dommage et qu’est établi un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Cette double présomption de l’article 51 est dite « réfragable », ce qui signifie que le dirigeant peut apporter la preuve qu’il n’a en réalité commis aucune faute de gestion et/ou qu’il n’y a pas de lien entre son comportement, fût-il fautif, et le manquement de paiement.

La charge de la preuve est ainsi renversée par rapport au droit commun et il appartient au dirigeant de prouver que concrètement, il s’est comporté comme un mandataire prudent et diligent, agissant en bon père de famille.

La jurisprudence, et singulièrement celle de la Cour de cassation, ont défini les contours de cette présomption et les conditions d’application de l’article 93undecies, aujourd’hui article 51 du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales.

Exception à cette présomption : l’article 51 §3 précise que si l’absence de provient de difficultés financières qui ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire, de faillite ou de dissolution judiciaire, la solidarité du dirigeant ne s’appliquera pas automatiquement. L’absence de présomption de faute persiste pendant la durée de la réorganisation judiciaire, voire même après celle-ci jusqu’à la faillite. (Cass., 27 mars 2015, F.14.0095N).

La Cour de cassation a indiqué dans un arrêt du 11 mars 2016 (F.15.0118.F) que la charge de la preuve de ce lien entre le non-paiement et les difficultés financières incombe au dirigeant de la société concernée.

La PRJ ou la faillite n’exonèrent toutefois pas le dirigeant de toute responsabilité. Dans son arrêt du 19 septembre 2014 (F12.0206.N), la Cour de cassation avait déjà pu préciser que l’article 93undecies (lire 51) n’exclut pas que le dirigeant soit déclaré responsable, sur base d’un autre fondement juridique, d’une faute relative au non-paiement de la TVA.

Autrement dit, même si le dirigeant peut démontrer que la double présomption visée par l’article 51 serait non applicable, parce que la période concernée n’est pas visée, par exemple, ou parce qu’une procédure d’insolvabilité est ouverte, il n’en demeure pas moins que l’administration pourrait tenter de démontrer que le manquement de paiement constitue concrètement dans le cas de la société concernée et du dirigeant visé,  une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, par exemple lorsqu’il serait démontré qu’au-delà des difficultés financières qui conduiraient à la faillite, l’accumulation des retards de paiements à l’administration résulte de défaillances dans la gestion de l’entreprise.

L’administration a ainsi pu soutenir que constituaient des fautes au sens de l’article 1382 du Code civil, la poursuite d’une activité déficitaire au mépris des droits et intérêts des créanciers, la fraude développée à grande échelle consistant à occulter des recettes pour éluder la TVA ou encore le choix délibéré de financer les activités de l’entreprise en abusant du mon paiement des impôts. Rappelons aussi que le défaut d’aveu de faillite dans le mois de la cessation des paiements peut être constitutif d’une faute civile, voire pénale.

Si la présomption de l’article 51 ne peut pas être appliquée pour une raison ou pour une autre et que l’action de l’administration ne se base que sur l’article 1382, dans ce cas, la charge de la preuve de la faute, du dommage et du lien de causalité repose, par contre, entièrement sur les épaules de l’administration.

Action de l’administration et réaction du dirigeant

Comme nous l’avons vu, l’administration doit adresser au dirigeant un avertissement afin que celui-ci puisse faire valoir ses moyens de défense.

Ce n’est qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à dater de cet avertissement que le fisc pourrait introduire une action en justice contre le dirigeant, sans préjudice des mesures conservatoires qui pourraient être décidées immédiatement.

L’action de l’administration serait alors basée sur l’article 51 précité et sur les dispositions générales du Code civil relatives à la solidarité entre les débiteurs.

Il ne faut pas oublier en effet que le débiteur principal demeure et demeurera la Société ou l’ASBL qui auront dû recevoir, ainsi que leurs dirigeants actuels, au même titre que les dirigeants anciens, l’avertissement avant poursuites.

Il conviendra donc avant tout que le dirigeant interpellé par l’administration se tourne vers la société et ses administrateurs actuels pour connaitre leurs intentions, en leur rappelant que s’il devait être amené à payer, au nom de la solidarité, la dette de la société ou de l’ASBL, celle-ci demeurerait à son égard puisqu’il serait alors substitué (subrogé) à l’administration en qualité de créancier de la société.

En effet, conformément à l’article 1200 du Code civil, la solidarité entre les débiteurs implique qu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité et que le paiement fait par un seul libère les autres envers le créancier, en l’occurrence le SPF Finances.

Aux termes de l’article 1203 de ce Code, le créancier d’une obligation contractée solidairement peut s’adresser à celui des débiteurs qu’il veut choisir, sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division.

En vertu de l’article 1204 du même code, les poursuites faites contre l’un des débiteurs n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres.

La responsabilité des dirigeants quant à la TVA ou au précompte, en vertu de l’article 51 précité, implique que ledit dirigeant est tenu solidairement, de plein droit, de payer la TVA due par la société.

L’article 1251 du Code civil prévoit néanmoins la subrogation de plein droit à son profit et lui permettrait s’il doit payer, de poursuivre la société ou l’ASBL en récupération de tous les montants qu’il aurait acquittés en son nom, d’autant plus qu’en vertu de l’article 1216 du même Code, il serait considéré à l’égard de la société comme sa caution, la dette n’ayant été contractée que par la société et non pas par les autres coobligés solidaires.

Notre conseil

Un homme averti en vaut deux et il sera sans doute utile, surtout si l’on a plus de prise sur la gestion d’une société ou d’une ASBL, par l’effet d’une démission, de bien s’assurer que cette démission est publiée aux Annexes du Moniteur belge et qu’il ne reste pas plus qu’une ou deux dettes de TVA ou de précompte exigibles sur une période d’un an au moment de la démission.

Notre équipe d’avocats spécialisés en droit des sociétés et droit de l’insolvabilité conseille et défend régulièrement les entrepreneurs et dirigeants confrontés à une mise en cause de leur responsabilité par le fisc. Ils se tiennent à votre entière disposition pour discuter de votre situation particulière.

Xavier Ibarrondo, avocat spécialisé en droit des sociétés

Yannick Alsteens, avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté